Victime d’autocensure

L’autocensure apparaît sous bien des formes. Sa présence ou absence, sa pertinence ou non, génèrent 4 dynamiques : violence, non-dit, discernement et parler-vrai; et des conséquences sur les individus et les collectifs. Développer sa qualité de conscience autour de ce phénomène est libérateur.

La présence, l’absence, la pertinence d’autocensure génèrent 4 dynamiques avec des conséquences.
Photo de Yaroslav Shuraev

En cherchant à commencer l’article de la semaine, je me suis découvert en autocensure.
J’ai alors décidé d’explorer ce thème et de me regarder voir de plus près cette dynamique de victime d’autocensure.

Bien entendu, l’autocensure peut être bienvenue dans certaines situations, et j’aimerais quelquefois qu’elle se manifeste, autant pour moi que pour d’autres personnes, nous épargnant un fonctionnement dégénératif.

Dans le présent contexte, je dissèque le phénomène au plus proche de mon expérience directe, alors qu’elle m’apparaît contreproductive.

Les 4 articles suivants dans la série détaillent chaque zone identifiée aujourd’hui :

Les manifestations de l’autocensure

Dans le contexte de cet article, la censure avance à couvert, insidieuse.

Elle se déguise en doute, sous la forme d’affirmations et de questions tournées vers l’extérieur, sans attention ou considération de mon état interne.

« Je ne vais pas y arriver. […] Mais pourquoi est-ce que j’écris chaque semaine et pas chaque mois ? […] Est-ce que j’ai vraiment besoin de m’imposer ça ? »

Puis, toujours tourné vers l’extérieur, le blâme surgit.

« Je suis trop fatigué, c’est à cause d’eux (clients, famille, etc.). […] Ils ont éteint ma créativité, c’est de leur faute si finalement je n’ai pas d’inspiration. »

Puis ça se retourne contre moi, toujours avec distance, avec le jugement portant sur mes idées, mon rythme, mes priorités.

« Aucune de mes dizaines d’idées, de notes n’est pertinente. […] Je devrais bien être capable de mieux prioriser mes occupations puisque j’aide mes clients à le faire. »

Concrètement, je procrastine. Avant de démarrer, j’ai regardé mes emails, recherché des livres, lu des posts LinkedIn. Je suis allé chercher à boire et je me suis arrêté en chemin encore attiré par autre chose.
Ah ! Et je cherche des références supplémentaires, sur différentes idées dans ma liste. Je lis des articles et regarde des vidéos à propos des techniques d’écriture ou des processus de création.

Il doit bien y avoir une pilule magique.

Bref ! Je boucle dans différentes formes et nuances de tout cela.

Le déclic cette fois ? M’être dit « Stop ! ». Être allé prendre ma douche et me dire :

« Et si je faisais un article en écriture libre ? Je mets tout ce qui me passe par la tête, je ne change rien. C’est ça l’expérience que je propose cette fois. ».

C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de l’autocensure en œuvre puis de toute la dynamique qui dure depuis la sortie du dernier article : « La vie sans frontière », en anticipant déjà le prochain.

Je viens de vous décrire mon expérience, certes partielle, mais sans censure (au moins consciente).
Je ne dois pas être le seul, alors comment est-ce que ça se manifeste pour vous ?

À plus large échelle, quelles formes est-ce que ça revêt dans un collectif ?

Le phénomène d’autocensure dans la société et les organisations

Pour explorer les systèmes humains, j’ai choisi de prendre en considération 4 espaces complémentaires :

  • Lorsque l’autocensure est absente, que d’un côté c’est pertinent ainsi et que de l’autre ça ne l’est pas.
  • Lorsque l’autocensure est présente, que d’un côté c’est pertinent ainsi et que de l’autre ça ne l’est pas.
Visualiser l’autocensure : sa présence ou absence et sa pertinence ou non pertinence
Grille de visualisation - téléchargeable ci-dessous

Lorsque l’autocensure est absente et que ça n’est pas pertinent (il faudrait qu’elle soit présente).

C’est un espace de violence, sous différentes formes et intensités.
C’est le moment où des phrases inappropriées sont prononcées. Les personnes se sentent blessées, la relation, la confiance se dégradent. Cela peut aller jusqu’aux confits et à la défiance en cas de répétition. La mémoire accumulée de tels moments induit protection, manque de transparence et même risque pour la santé.

Lorsque l’autocensure est présente et que ça n’est pas pertinent (il faudrait qu’elle soit absente).

C’est l’espace du non-dit.
Là aussi, le doute s’installe, la relation en souffre. Nous sommes des êtres sensibles et détectons ces moments, même inconsciemment. Ils prennent, je crois, souvent leur source dans le manque de confiance ou les croyances de la personne émettrice.
« Que va-t-il se passer si je dis ça ? Je ne peux pas dire ça à un manager ! Etc. »
Cette autocensure à répétition génère de la frustration, de la colère, des rancunes.

Lorsque l’autocensure est présente et que c’est pertinent (c’est bon qu’elle soit présente).

C’est l’expression du discernement, de la conscience de soi, des autres et du contexte.
C’est, par exemple, une intervention retenue lors d’une réunion puis le sujet traité ultérieurement, en tête-à-tête après avoir validé que notre interlocuteur est disposé à nous écouter. C’est la forme d’expression d’un respect profond et sincère, d’une sagesse. C’est la manifestation du détachement de la satisfaction de ses besoins immédiats au bénéfice d’une dynamique collective générative à long terme.

Lorsque l’autocensure est absente et que c’est pertinent (c’est bon qu’elle soit absente).

C’est le moment du parler-vrai, avec une intention constructive, et une attention aux autres qui vise à favoriser une dynamique future générative.
Ce qui est dit l’est pour l’évolution du commun. Ce n’est pas facile, ni pour l’émetteur ni pour la personne qui reçoit, mais toutes les parties prenantes sont capables d’en voir le bénéfice.

La qualité de conscience prend ici tout son sens.

Devenir conscient de l’autocensure, de sa présence ou absence, l’utiliser avec intention, attention et dextérité influence significativement la culture, la performance, les dynamiques humaines et notre santé.

Façonner notre qualité de conscience à propos de l’autocensure est une pratique individuelle et collective quotidienne, influencée et influençant un grand nombre de nos comportements, émotions et pensées.


Sortir de la posture de victime d’autocensure

Pratique

Je vous invite, pour la semaine à venir à une pratique d’auto-observation et d’écriture quotidienne, en utilisant les questions et la grille disponible en téléchargement :

À quels moments me suis-je censuré au cours de la journée ? Était-ce pertinent ?

Sur la grille proposée, reportez :

  • Les moments avec quelques détails.
  • Vos sensations physiques, vos émotions, vos pensées sur moment puis maintenant que vous y revenez.
  • Notez les conséquences observées et celles imaginées.

En fin de semaine, faites votre bilan :

  • Que m’apprend la répartition ? Ai-je envie ou besoin de faire des changements ?
  • Quels signaux ai-je maintenant à ma conscience pour anticiper (sensations, émotions, types de situations, etc.) ?
  • Dois-je poser des actions concrètes de « restauration » (non-dits ou violence) ?
  • Que vais-je concrètement mettre en place pour effectuer les changements nécessaires ? Ai-je besoin d’aide ?

La vie des pensées censurées

Que devient ce que je censure ?
Je me suis posé cette question en continuant à me regarder voir mon expérience directe de ce thème.

Je fais les constats suivants :

  • Une partie reste enfouie dans mes notes. Je réalise que ça remonte à la surface de temps en temps. Quelquefois, ça alimente une conversation, ou un écrit, lorsque je me sens enfin prêt.
  • Une partie reste tourner dans ma tête, comme le hamster dans sa roue, sous forme de ruminations. Dans ce cas, cela peut devenir une véritable et intense distraction. Je peux en sentir des effets physiques qui à long terme affectent ma santé.
  • Une partie disparaît tout simplement et parfois je m’en veux. Cela se produit quand j’oublie alors que ça n’était qu’une question de contexte. Je n’étais pas prêt, ça n’était pas le bon moment, pas la bonne audience, etc. L’idée est perdue, la censure l’a tuée.
  • Une autre partie disparaît, tant mieux. Ce sont les autocensures qui ne restent pas en rumination, ou qui sont devenues obsolètes.
  • Une dernière partie s’accumule et se transforme en rancœurs. Et oui ! J’ai remarqué que ça m’arrive. Plus ça dure, plus c’est difficile à adresser. Dans ce cas, j’utilise la méditation pour pratiquer la compassion et l’altruisme.

Les apprentissages faits à me regarder voir victime d’autocensure

Je constate avant tout que ce n’est qu’une partie de moi, présente ponctuellement et régulièrement.

Le cheminement réalisé grâce à cet article m’apaise.

Concrètement, j’ai choisi de m’inviter régulièrement et explicitement à la bienveillance envers moi-même.

J’ai pu voir comment je passais au discernement plutôt que de rester dans le jugement, le blâme ou la dispersion.

Je célèbre l’accomplissement d’un pas nouveau dans l’enrichissement de ma qualité de conscience, dans l’accueil de toutes ces choses qui sont au fond de moi, de tous ces ingrédients nécessaires pour un futur génératif pour moi-même et nous toutes et tous.

Pour résumer

  • L’autocensure se manifeste sous bien des formes, parfois difficiles à relier directement et de façon évidente.
  • Selon que l’on se censure ou pas et que ça soit pertinent ou pas, les dynamiques sont radicalement différentes.
  • Ces dynamiques : violence, non-dit, discernement et parler-vrai ; ont des conséquences sur les individus et les collectifs qu’il est intéressant de garder à l’œil après détection.
  • Il existe une façon assez simple et visuelle (grille) de prendre conscience de l’autocensure.
  • Développer sa qualité de conscience autour de ce phénomène est libérateur.

Qu’observez-vous de votre propre processus de pensée à la lecture ou à l’écoute de cet article ?
Quelle est votre relation à l’autocensure ?
Quelles expériences et pratiques personnelles êtes-vous disposés à déclassifier ?

[Mise à jour du 26/11/2022 : format de l’image de la grille et version 1.1 du PDF à télécharger]