Violence verbale

Je poursuis l’exploration de l’autocensure en plongeant dans la dimension violence. En quoi mon action de parole maintenant contribue-t-elle à une société humaine et bienveillante dans le futur ?

En quoi mon action de parole contribue-t-elle à cet instant,  à une société humaine et bienveillante à l’avenir ?
Photo de Nishant Vyas sur Pexels

Cet article est la suite de celui intitulé « Victime d’autocensure » que je vous invite à lire ou écouter.

Victime d’autocensure
Est-ce que tu te censure toi ?Dans quelle case te trouves-tu le plus souvent ? La présence, l’absence, la pertinence ou non d’autocensure génèrent 4 dynamiques : violence, non-dit, discernement et parler-vrai Ces 4 dimensions ont des conséquences différentes sur les individus et le collectif…

La semaine passée, je me suis observé dans mes propres dynamiques d’autocensure¹ et cela m’a mené à distinguer 4 zones.

J’ai nommé l’une d’elles « violence² » : lorsque je ne censure³ pas mes propos alors que je devrais le faire.

C’est la violence par manque délibéré d’autocensure.

Je réalise progressivement l’étendue des implications de ce thème : censurer ce que je dis et la pertinence de le faire (et l’ensemble des combinaisons possibles). C’est une dynamique très complexe aux contours parfois flous et souvent mouvants.

Il y a les évidences, les zones grises et un large éventail de nuances que j’explore (très partiellement) dans cet article.

Je l’aborde ici sous l’angle de la parole, la violence verbale, même s’il me semble que celui des comportements m’en apprendrait autant.

Comme chaque fois, Se Regarder Voir et se voir regarder est très riche pour moi. J’espère que c’est aussi le cas pour vous.

La violence par manque délibéré d’autocensure

Lorsque je ne censure pas mes propos alors que je devrais le faire.

À titre personnel, j’endosse une grande responsabilité et je porte habituellement beaucoup d’attention à mon langage et à la violence qu’il propage. Je trouve ça difficile et pesant parfois. Il m’est plus aisé et reposant de me laisser aller, de relâcher la vigilance.

C’est l’espoir et l’intention viscérale de contribuer pour un monde plus pacifique qui alimente mon attention et nourrit mon action. Un jour, cela deviendra naturel, même si cela me demande aujourd’hui un effort délibéré.

Étant plutôt prudent, je me vois souvent me censurer là où ça n’est peut-être pas nécessaire. Je vais naturellement dans la zone du « non-dit ».

J’ai d’ailleurs de la difficulté à dire ouvertement certaines choses, surtout lorsque je pressens que ça pourrait altérer la relation. J’anticipe, je juge mon propos comme potentiellement violent, je me censure.
D’ailleurs, cela rend l’exercice de la rétroaction difficile pour moi. Je suis persuadé qu’un feedback franc et direct est crucial. L’exercice me demande beaucoup d’énergie.
Dans ce cas, où place-t-on la limite de cette zone « violence » ? Quelles formes cela prend-il ?

Je me vois aujourd’hui taire des blagues que j’aurais faites sans m’interroger sur leurs impacts il y a quelques années.
Je me sens très mal à l’aise, je sens de l’injustice, en entendant des blagues racistes, homophobes, sexistes ou liées à toutes formes de stigmatisation d’une personne ou d’un groupe de personnes.

Puis-je blaguer et rire des choses qui affectent profondément et blessent des gens ?

Un abîme se dessine devant moi, s’y mêle privilège, liberté d’expression, éthique, morale, inclusion, altruisme, histoire, lutte, ségrégation, etc.
Les sentiments d’être mal à l’aise et d’injustice se noient alors dans les sables mouvants de l’impuissance, de la peur du rejet et de l’exclusion. Quel paradoxe lorsque la blague elle-même l’inflige aux autres !

Quand je vous disais que c’est une dynamique complexe aux frontières floues !

Un souvenir remonte avec cette exploration. Celui de mon professeur de mathématiques de terminal C qui me dit froidement devant toute la classe, à 4 mois de l’examen : « J’espère que tu ne prépares pas le bac pour l’année prochaine ! ». Cette phrase faisait suite à de multiples annotations méprisantes sur mes copies.
Était-ce intentionnellement violent ? Était-ce une forme d’ignorance ou d’inconscience ? Actuellement, on parlerait probablement de harcèlement moral.

Comment cet épisode façonne-t-il mon intention viscérale d’aujourd’hui ?

Se regarder voir ouvre des portes plus que ça n’en ferme !

Et puis il y a les paroles anodines en apparences, mais qui blessent la personne réceptrice. Je me vois en être l’auteur trop souvent avec mes proches. Ce qui me fait réaliser que je ne leur accorde pas le même degré de vigilance dans le traitement de ma parole.

Je vois cet espace du manque délibéré d’autocensure immense, nuancé et demandant une très grande attention. Un mot est si vite prononcé.

C’est aussi un espace dans lequel la réception de la parole compte autant que l’émission.

Il ne faut jamais oublier, je crois, que seule la victime peut déclarer s’il y a violence au travers de son ressenti.
En tant qu’émetteur, j’assume quand ma parole est reçue comme étant violente, même si pour moi, elle ne l’est pas.
Je m’efforce en permanence d’être conscient du contexte et de mon potentiel de violence.
Je conscientise mes pensées, les observe, les filtre, afin de contribuer activement à un monde plus paisible.

La personne en pouvoir est responsable de la violence qui s’exprime. Elle doit être un modèle.
Photo de Andrea Piacquadio

La violence verbale dans les équipes, les organisations et la société

Des ragots à la stigmatisation publique dans les médias en passant par l’utilisation politique, je la vois et l’entends partout.
J’en suis parfois à me demander si je suis atteint de paranoïa ou si nous vivons principalement dans cette dynamique malsaine de manque délibéré d’autocensure.

J’ai souvent l’impression qu’elle est tellement présente qu’il est devenu normal de se parler comme on se parle.

Certes, il arrive que les personnes ne soient pas véritablement conscientes de la nature de leur propos. Cependant, trop souvent, elles le sont et c’est là que la violence devient systémique et institutionnalisée.

Elle se manifeste, selon moi, par :

  • Le vocabulaire déshumanisant devenu courant.
  • Le discours incohérent de responsabilisation et d’autonomisation accompagné du refus d’octroyer les moyens adaptés.
  • Les jugements et paroles dégradantes en l’absence des personnes nommées et même en leur présence.
  • L’abus de pouvoir pour se permettre de dire sans aucun filtre et affirmer que c’est normal.
  • Les blagues, que je qualifie de douteuses, en présence de personnes en situation de vulnérabilité.
  • La banalisation des paroles déplacées, lamentablement excusées par : « je suis comme ça » ou « il est comme ça ».
  • Et beaucoup d’autres formes…

Je crois que plus une personne a de pouvoir, plus elle a de responsabilités, plus elle doit se montrer exemplaire.

Malheureusement, tous bords confondus, nos représentants au pouvoir ne semblent pas du même avis.

Nous partons donc, dans la société en général, du mauvais pied, avec de mauvais exemples.

Dans les organisations et les équipes, et à tous les niveaux de notre société, nous retrouvons des déclinaisons de cette violence sciemment tolérée, voire organisée.

À l’échelle d’un groupe de personnes dans une séance de travail, les exemples caractéristiques pour moi sont le sarcasme et sa cousine l’ironie.
Une expression flagrante, sous un pseudodéguisement, d’une parole très consciente et inappropriée. Parole qui n’apporte rien et détruit le semblant de confiance qui pourrait exister. Discours qui blesse une ou plusieurs personnes présentes ou pires encore, absentes et qui se cache lamentablement mal derrière l’excuse de contribuer à la bonne humeur !

« Ben là, Tremeur ! Si on n’a plus le droit de déconner ! »

Que ça soit pour « déconner » ou pour tout autre chose, l’utilisation consciente de la parole violente me révolte.
Ne pas se censurer alors que c’est inapproprié, voire utiliser cette approche pour assouvir sa soif de pouvoir ou de gain, quel qu’il soit, provoque en moi une forme de rage que je m’efforce de contenir et maitriser pour ne pas participer à la spirale en attisant les braises.

Sortir de la violence demande des clés que nous devons chacune et chacun découvrir.
Photo de George Becker

Sortir de la zone « violence » individuellement et collectivement

Comment en sortir ? C’est une question que je me pose et à laquelle je n’ai pas beaucoup de réponses évidentes.

Je crois que c’est une démarche individuelle et collective, dans laquelle chacune et chacun d’entre nous joue un rôle clé.

Je suis convaincu que certaines personnes, en position de pouvoir, d’influence, d’autorité, de responsabilité et celles qui sont conscientes de la situation, devraient s’obliger à l’exemplarité.

Deux principes se démarquent pour moi :

  • Ne pas infliger aux autres ce que je n’aimerais pas subir.
  • Change en moi ce que je veux voir changer autour de moi.

Parmi les actions que j’active :

  • M’entrainer pour façonner ma qualité de conscience puis inviter d’autres à en faire de même. Cet article est une forme d’action dérivée.
  • Rendre visible et explicite, aussi proche de l’instant et aussi souvent que possible, les violences, en le faisant de la façon la plus curieuse et bienveillante possible.
  • Acquérir le courage et la capacité d’agir dans le plus grand nombre de contextes possible.
  • M’entourer, lire, écouter, suivre, relayer des personnes qui œuvrent sans relâche pour dénoncer et montrer un autre chemin. Me laisser inspirer et prendre exemple.

De nombreuses questions restent en suspens :

  • Comment savoir s’il est approprié, à chaque instant, de dire ce que je pense ?
  • Dois-je d’abord m’assurer de l’autonomie de la personne à traiter ce que je divulgue ? De quelle manière ?
  • Dois-je prendre la responsabilité de la forme autant que du contenu ? Jusqu’où ?

Et je reste avec cette interrogation :

En quoi mon action de parole contribue-t-elle à cet instant, à une société humaine et bienveillante à l’avenir ?

Pour résumer

  • Le manque d’autocensure lorsque ça serait approprié est un espace de violence.
  • La violence verbale s’exprime par des formes évidentes et d’autres, déguisées ou nuancées.
  • Tracer une limite est parfois difficile et il est plus utile de parler de dynamique que de zone.
  • Nous sommes toutes et tous responsables. Certaines personnes par leur position ou leurs attributions le sont encore plus.
  • À chaque personne de découvrir les actions qui nous permettent collectivement de sortir de cette dynamique nauséabonde.
  • Exercer sa qualité de conscience devient une évidence.

Que faites-vous, très concrètement, chaque jour, pour sortir de la zone « violence » telle qu’elle est présentée dans ce contexte de l’autocensure ?

Cette semaine, je vous invite à poursuivre et approfondir la pratique proposée la semaine passée en vous concentrant sur la dimension violence.

Relire l’article précédent et y retrouver la pratique à télécharger :

Victime d’autocensure
Est-ce que tu te censure toi ?Dans quelle case te trouves-tu le plus souvent ? La présence, l’absence, la pertinence ou non d’autocensure génèrent 4 dynamiques : violence, non-dit, discernement et parler-vrai Ces 4 dimensions ont des conséquences différentes sur les individus et le collectif…

¹ L’autocensure est une forme de censure que s’applique à elle-même une personne, une institution, ou une organisation, déclenchée par la crainte ou la menace de censure par une autorité politique, financière, ou religieuse. https://fr.wikipedia.org/wiki/Autocensure

² La violence est l’utilisation de force ou de pouvoir, physique ou psychique, pour contraindre, dominer, tuer, détruire ou endommager. Elle implique des coups, des blessures, de la souffrance, ou encore la destruction de biens humains ou d’éléments naturels. https://fr.wikipedia.org/wiki/Violence

³ La censure est la limitation arbitraire de la liberté d’expression par un pouvoir (étatique, religieux ou privé) sur des livres, médias ou diverses œuvres d’art, avant ou après leur diffusion (censure a priori et a posteriori) au public. https://fr.wikipedia.org/wiki/Censure