La vie sans frontières

Depuis longtemps, j’ai remarqué que je me crée une vie contrainte par des frontières construites de toutes pièces. La vie sans frontières me demande une confiance en moi profonde et puissante, un courage et une énergie phénoménales. Est-ce encore là des limites arbitraires que je m’impose ?

À quoi ressemble notre vie sans frontières lorsque nous abattons les cloisons que nous construisons nous-mêmes ?
Photo de Flo Maderebner provenant de Pexels

Depuis longtemps, j’ai remarqué à quel point je cloisonne et je conditionne les choses, en moi et autour de moi, à quel point je me crée une vie contrainte par des frontières construites de toutes pièces.
Je constate le coût, en matière d’énergie dépensée, pour maintenir ces séparations. Je réalise leurs conséquences sur la qualité de ma connexion à mon environnement et aux autres.

J’ai aussi remarqué que je suis loin d’être le seul à créer des frontières, établir des limites, séparer des pans de ma vie.

Je me demande souvent à quoi ressemblerait la vie sans frontières, ma vie sans ces barrières. Je me demande même si cela est possible.
Je m’interroge sur ce que seraient, à défaut, des membranes plus fluides et perméables ?

Est-ce parce que nous créons ces séparations mentalement, que nous organisons un monde extérieur cloisonné ou bien les frontières extérieures sont-elles la source de nos cloisonnements intérieurs ?

Me regarder voir ce thème des frontières me rend encore plus curieux de l’expérience de ceux situés de l’autre côté de la vitre.

De l’infiniment petit à l’infiniment grand - la Vie sans frontières

Dans la nature, les limites dépendent de ce que l’on observe et de la façon dont on le fait. Sur Wikipédia, la description de l’atmosphère terrestre commence ainsi :

Il n’y a pas de limite précise entre l’atmosphère et l’espace, car elle devient de plus en plus ténue avant de s’évanouir, dans l’espace, de manière continue. Cependant, à partir de l’observation de la variation de la densité des gaz terrestres, on peut établir que l’épaisseur de l’atmosphère terrestre varie entre 350 et 800 km (selon l’activité solaire), l’épaisseur moyenne étant d’environ 600 km. Cette limite correspond à la frontière entre thermosphère et exosphère. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Atmosphère_terrestre)

De même, les limites que nous utilisons dépendent des représentations et du langage auxquels nous avons recours. Encore sur Wikipédia :

La peau (/po/, provenant du latin : pellis) est un organe composé de plusieurs couches de tissus. Elle est la première barrière de protection de l’organisme chez les Chordés. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Peau)

Si les éléments naturels semblent utiliser l’énergie pour maintenir une certaine cohérence à l’intérieur de limites définissant les formes que nous observons à certaines échelles, il ne semble pas y avoir d’instance instituant, renforçant ou préservant à tout prix ces limites.
Selon ce que j’observe et à l’échelle à laquelle je l’observe, je peux identifier des limites différentes, plus ou moins stables.

C’est notre mode d’observation puis le sens que nous attribuons à ce que nous discernons qui semblent assez systématiquement cristalliser des frontières arbitraires.
Nous oublions peut-être trop vite que ce ne sont que nos choix, ni La Vérité, ni La Réalité.

Si j’étais un atome navigant du centre de la Terre aux confins de l’Univers, je traverserais des zones plus ou moins denses, plus ou moins stables, mais sans jamais rencontrer de « vraie » barrière.

 Les frontières sont construites pour le maintien coûte que coûte du pouvoir et des possessions ou de l’identité
Photo de Todd Trapani sur Pexels

Les frontières dans la société et les organisations

Je me rends compte qu’il est assez évident pour moi de comprendre le rôle protecteur de barrières naturelles comme l’atmosphère ou la peau.
Je m’explique facilement l’aspect pratique consistant à rendre accessible la compréhension d’un système donné en le représentant avec des limites claires, en évacuant la complexité des dynamiques et la nuance de la continuité aux interfaces considérées.

Je peux retrouver cet aspect protecteur et pratique dans la société ou les organisations. Il est pratique de s’organiser en équipe, en département, en entreprise, en famille, en clan, en commune ou en fédérations. Il est utile et protecteur de mutualiser la réponse à certains de nos besoins. Il est pertinent de présenter certains comportements codifiés dans certains contextes.

Mais… ! Car il y a un mais !

Qu’en est-il lorsque :

  • L’équipe devient arbitrairement définie ?
  • Je suis étiqueté immigrant illégal parce que je suis sur un territoire différent ?
  • Je n’ai pas le droit de parler à une personne parce que je n’ai pas le bon rôle, le bon statut ou que je ne suis pas du bon département ?
  • L’accès à des services, des biens, des endroits m’est refusé du fait de ma couleur de peau, de mon genre, de mon lieu de naissance ou du statut social de mes parents, etc. ?
  • La loi régulant un espace est définie non pas pour me protéger, mais pour favoriser certaines personnes ou groupes à mes dépens ?

Je m’aperçois alors que je porte un jugement vis-à-vis de ce que je considère comme une absurdité profonde, une injustice évidente.

Pour moi, ce n’est plus l’utilité ou la protection d’un écosystème qui est en jeu, c’est le maintien coûte que coûte du pouvoir et des possessions ou de l’identité à laquelle je m’accroche.

Ce jugement est aussi un jugement envers moi-même, aussi coupable de chercher à maintenir mon pouvoir, mes possessions et une image de moi qui me rassure.

Une énergie significative, qui n’est plus pour moi l’énergie du système « naturel », est employée pour maintenir ces barrières souvent arbitraires, sans considération des conséquences sur les humains ou l’écosystème.


Vers un système de frontières dynamique adaptatif

Pratique

Cette semaine, je vous invite à dresser l’inventaire des frontières que vous créez ou auxquelles vous contribuez, d’évaluer la « rigidité », la pertinence et le coût de celles-ci. Ensuite, décidez ce que vous souhaitez en faire, puis votre premier pas pour passer à l’action.

Voici les étapes que je vous propose :

  1. Dans un premier temps, listez les facettes (rôles, statuts, identités, etc.) que vous vous attribuez ou que vous aimez que l’on vous attribue.
  2. Identifiez les contextes que vous délimitez et leurs potentiels chevauchements (sport, famille, amis, politique, professionnel, personnel, ludique, sérieux, etc.). Notez comment les facettes précédentes sont autorisées, ou pas, à se manifester au sein de ces zones. Ce que vous y révélez, ce que vous y cachez.
  3. Identifiez maintenant les domaines délimités par d’autres, auxquelles vous participez (association, conseil municipal, statut juridique, entreprise, nationalité, etc.) et notez la manière dont vous contribuez ou jouez avec certaines des limites de ces domaines. Quelles frontières y distinguez-vous ? Quelles facettes s’y manifestent ?
  4. Avant d’aller plus loin, que ressentez-vous à cet instant ? Qu’est-ce qui est présent (corps-cœur-tête) à cette étape de l’exercice ?
  5. Maintenant que vous avez une première représentation, prenez le temps d’évaluer la rigidité, la pertinence et le coût de chacune de ces membranes que vous avez tracées ou qui vous sont imposées. Découvrez-vous des frontières devenues inutiles ou trop pesantes ? Au contraire, certaines devraient-elles être renforcées ou redessinées ?
  6. À nouveau, que ressentez-vous à cet instant ? Qu’est-ce qui est présent (corps-cœur-tête) à cette étape de l’exercice ?
  7. À partir de là, définissez une première action et lancez-vous. Je vous recommande de prendre une action à la fois, compte tenu des effets systémiques.

Tout au long de l’exercice, n’hésitez pas à revenir aux étapes précédentes, ne vous imposez pas une linéarité qui n’existe que par le fait de la description.

Sur une base régulière, mettez à jour la carte que vous venez de créer à partir des apprentissages issus de l’action, puis choisissez-en une nouvelle.
Cela vous permettra d’expérimenter, d’apprendre, et de créer un système de frontières dynamique et adaptatif.


L’œuf ou la poule - les systèmes mentaux et organisationnels

D’où viennent les frontières présentes pour moi ?
Est-ce que les structures sociales induisent ces cloisonnements mentaux ?
Est-ce que les structures sociales sont induites par les barrières « mentales » que les humains construisent collectivement ?

Selon certaines approches philosophiques, l’expérience directe, vierge de toute interprétation, est continue et sans frontières. C’est notre interprétation et l’utilisation du langage qui crée des distinctions et qui définit alors des limites et des discontinuités.

L’atmosphère (le mot) pointe à l’atmosphère (la chose) qui est observée d’un certain point de vue, à une certaine échelle, avec une certaine finesse d’échantillonnage, souvent lié à la capacité des outils utilisés et des connaissances accumulées.
Il n’y a pas de limite et pourtant nous en construisons une.
Sur cette même idée, bien d’autres notions telles que le temps, l’espace, la pensée sont elles-mêmes des constructions et deviennent des frontières, des discontinuités.

Donc, d’une certaine manière, notre capacité d’observation, nos choix d’échantillonnage, notre connaissance, notre capacité à interpréter et relier des éléments, notre besoin de communiquer influencent les frontières que nous créons, que nous construisons.

D’un autre côté, nous naissons et vivons dans des structures qui nous précèdent, dont nous héritons. La culture, le genre, la couleur de la peau, la langue et de nombreux autres paramètres portent avec eux des barrières historiquement construites que nous assimilons sans les questionner, au point de les croire vraies et réelles. Et nous sommes tous témoins des profondes différences que cela provoque, au point même d’être la cause de la mort du vivant et de l’exploitation de la nature.

Je crois que ces délimitations, ce langage, sont utiles et que certaines frontières sont des protections vitales pour l’intégrité d’un système.

Je crois aussi que beaucoup des barrières que je me mets ne sont plus là pour me protéger ou m’être utiles. Elles perdurent pour satisfaire un besoin de possession ou de pouvoir et de préservation de l’identité que je me suis forgée.

Je crois que beaucoup de barrières qui me sont imposées peuvent parfois me protéger, mais au détriment d’autres humains. Je fais alors partie des privilégiés.
Beaucoup d’autres frontières ne sont là que pour préserver la possession, le pouvoir et l’image identitaire de personnes qui abusent du plus grand nombre. Je me vois me placer dans la zone des victimes et franchir ces limites me demanderait un courage et une énergie que je ne mobilise pas et qui impliqueraient une remise en question de mon identité profonde qui trop souvent me fait peur.

La vie sans frontières me demande une confiance en moi profonde et puissante, un courage et une énergie phénoménales. Ou bien est-ce encore là des limites arbitraires que je m’impose ?

La vie sans frontières me demande une confiance en moi profonde et puissante, un courage et une énergie phénoménales.
Photo by Sean Benesh on Unsplash

Pour résumer

  • La nature est fondée sur des continuités.
  • Les limites sont des choix humains servant à nous protéger ou à communiquer et vivre ensemble.
  • Dans la société et les organisations, cette utilité première est détournée et nombre de barrières sont aujourd’hui au service de la possession, du pouvoir, et de l’image.
  • Les frontières sont une construction induite par l’utilisation du langage et nos capacités de discernement.
  • Leur remise en question nécessite de mobiliser mon courage et mon énergie et de remettre en question de mon identité.

Souhaitez-vous participer à l’évolution d’un système vertueux, libérant, aux frontières fluides et dynamiques ?
À quoi ressemble-t-il ? Que demande-t-il de chacune et chacun d’entre nous ?