Rêve, cohérence bousculée et intégration d’identité

L’évolution de notre identité repose sur l’intégration des anomalies qui déstabilisent notre cohérence. Le rêve peut provoquer ces anomalies autant que servir à les intégrer. La théorie de la panarchie peut nous aider à créer du sens de l’écosystème de la psyché.

Homme travaille dans un van
Photo de Standsome Worklifestyle sur Pexels

Je me rappelle très rarement mes rêves nocturnes. Il y a quelques mois, je me suis pourtant réveillé en me rappelant intensément celui-ci :

Je vis dans un van, ma vie est simple, je contemple des montagnes par la vitre.
Je contribue à un rythme radicalement différent et je stationne toujours dans un endroit connecté.
Je suis en train d’écrire, l’écran de mon ordinateur prend de la place.
Je n’ai pas la sensation d’être seul, je me sens vivant, c’est réel.

Je constate que le souvenir de ce rêve reste présent. Il n’y a plus les mêmes détails, la même clarté. Il y a une sensation, une forme de profonde vérité qui semble viscérale.

Sans être en mesure de déterminer les causes et les effets, si tant est qu’il y en ait, je sens actuellement une perte de sens dans ce que je fais professionnellement et une profonde attirance vers une autre forme d’expression dans le monde.

Je ne me vois plus travaillé, je me vois contribué.
Je ne me vois plus un rouage de la machine, je m’imagine cultivateur de qualité de conscience.
Je ne me vois plus faire en niant l’être, je me vois être l’action.

J’écoute l’émergence de l’essence de vie qui se manifeste en moi et j’essaie d’en saisir des fragments, constituer des pièces et les assembler en un tout cohérent.

J’ai tant de fois imaginé mon futur, rêvé les yeux grands ouverts.
Des exercices de projection dans le futur, de vision, pour laisser monter ce qui est là, ce que j’ai envie d’accomplir, ce qui m’inspire.
Je me voyais accomplir des actions ordinaires ou de grandes choses, être riche et célèbre à mon échelle. Il m’arrivait même de détecter que j’étais victime d’autocensure.
Avec le recul, j’ai plutôt l’impression d’un show de la part narcissique en moi plus que d’une expression viscérale de la vie à mener.

Ces projections, cet imaginaire ne m’ont jamais provoqué les sensations du rêve nocturne partagé au début de l’article.
D’ailleurs, je réalise que j’ai très très peu de souvenirs de telles sensations.

Après réflexion, ce qui s’en rapproche le plus, dans ma phase d’éveil diurne, c’est l’impact de la lecture du livre « eXtreme Programming - la référence¹ ».
En fermant ce livre, fin 2002 début 2003, ce qui est présent pour moi est cette pensée claire et viscérale :

« C’est ça que je vais faire quand je serai grand ! ».


J’avais 25 ans et cet instant est la graine qui a guidé les 20 dernières années de ma vie !

Se regarder voir, c’est aussi scanner le passé et rechercher les formes, les schémas qui semblent se répéter.

D’un coup, pris par surprise, une vague d’émotion intense me submerge et les larmes coulent, juste à écrire ces lignes.
Dans l’instant, je ne cherche pas à comprendre, à rationaliser, je vis le moment, je reste avec mon émotion.

Plus tard, je cherche à comprendre et me tourne vers la théorie de la Panarchy élaborée dans le contexte de l’étude des écosystèmes naturels et de leurs cycles. Mon but est ici d’explorer ma propre écologie.

Cette théorie est constituée de différents éléments clés et je m’intéresse d’abord au cycle adaptatif illustré ci-dessous².

Image issue de : Chapitre 8 : Résilience, changement et persistance. — Sandrine Robert²

Je reviens à l’émotion qui m’a envahi. Après quelques minutes, c’est un sentiment de fierté, d’accomplissement et de deuil qui se mélange.
Une reconnaissance du chemin parcouru et une sensation de fin de cycle. J’interprète que je suis probablement entré dans la phase Ω, la libération, la destruction créatrice.

Ce cycle qui prend fin semble avoir débuté par un premier projet d’école réalisé en XP, puis la lecture du livre et la révélation, la sensation physique qu’il me procure.
À cette époque, ce sont probablement deux moments clés faisant partie de la phase ⍺ appelée réorganisation (parfois nommé émergence ou gestation).

Plusieurs années d’apprentissage personnel, d’exploration, de connexion à la communauté agile naissante me paraissent résider naturellement dans la phase 𝑟, d’exploitation, d’adaptation, de naissance et de croissance.

Puis, la phase 𝐾, appelée conservation, est la phase durant laquelle s’est construit et solidifié ce qui constitue ma vie, mon identité aujourd’hui. La transition dans cette phase correspond, pour moi, à mon arrivée à Pyxis à Montréal en 2009.

J’éprouve de la reconnaissance pour cette identité profonde qui m’a nourri et permis de réaliser tout cela.
L’impression que cette identité cherche à mourir, et que je m’accroche pourtant par sécurité. Je suis en « overshoot », en dépassement. Je suis pris dans un piège.

L’impression qu’une nouvelle identité, en phase ⍺ de réorganisation, en germination, émerge progressivement. Je ne la distingue pas encore, ça ressemble à un bombardement d’anomalies que je ne parviens pas à intégrer dans mon écologie actuelle. Cependant, je perçois le même cycle, à très petite échelle, le parcours rapide de toutes les phases qui à force de répétition s’intègre en une nouvelle identité.

Dans Devrions-nous simplement reconnaître que nous avons peur, j’évoquais cette dimension de vulnérabilité. Je sens la peur et la vulnérabilité présente en ce moment, face à l’inconfort de ces dissonances.

Homme en montagne, recherche le silence.
Photo de Bogdan R. Anton sur Pexels

Lorsque je reviens au « rêve du van », c’est le nom que je lui donne, je suis et je me vois, essayer de préserver à tout prix ce que j’ai créé et acquis bien que ça n’ait, en partie, plus vraiment de sens pour moi.

Rationnellement, je suis conscient que tout cela est une forme d’illusion. Il peut se passer des millions de choses qui provoqueront la disparition de tout ce que je crois posséder et auxquelles je m’accroche.
Mais, nous ne sommes pas ici dans le rationnel.

Je terminerais par cette citation le Rémi Tremblay dans son livre « J’ai perdu ma montre au fond du lac »

J’ai découvert que derrière chaque rêve se cache un besoin. Réfléchir à notre rêve nous permet de découvrir ce besoin. Derrière mon rêve de l’Asie, j’ai trouvé un besoin de silence dans ma vie. J’ai découvert que je pouvais combler ce besoin en posant des actions simples, sans me rendre à l’autre bout du monde. L’Asie représentait probablement pour moi une route vers la tranquillité intérieure.

D’un côté, il y a cette force de ma cohérence existante qui cherche à maintenir mon identité actuelle, pourtant constamment en évolution. De l’autre de nouveaux besoins, que je n’ai pas encore clairement identifiés, qui provoquent des anomalies et qui perturbent mon champ de cohérence.

Que l’on croie, ou pas, à l’idée que nos rêves nous offrent des messages, je constate qu’un rêve fort provoque une réflexion et je me sens heureux de bénéficier d’outils qui m’aident à leur donner un sens (parmi d’autres possibles).

La signification que j’ai donnée à tout cela, en utilisant le cycle adaptatif de la théorie de la Panarchy, est très personnelle.

Et je suis curieux de lire vos partages en commentaire sur la manière dont chacun et chacune d’entre vous se regarde être et évoluer sur des cycles longs.


💭
Depuis longtemps, je souhaite ajouter une dimension au podcast.
Vous êtes nombreux à lire et écouter très régulièrement depuis le début de l’aventure Se Regarder Voir.
Je serais ravi d’une conversation autour du micro pour explorer ensemble notre expérience et découvrir ce que cela génère pour toi.

Références

1 : eXtreme Programming — la référence, traduction de Laurent Bossavit du livre de Kent Beck : eXtreme Programming Explained — Embrace change.
2 : Sandrine Robert. Chapitre 8 : Résilience, changement et persistance. Sanders L., Bretagnolle A., Brun P., Ozouf-Marignier M.-V., Verdier N. Le temps long du peuplement : concepts et mots-clés, Presses Universitaires François Rabelais, pp.207-227, 2020. ⟨halshs-03070368⟩