Pleurer. Qu’y a-t-il de plus humain ?

Ne nous excusons pas d’être humain ! Pleurer est naturel. Se montrer vulnérable ce n’est pas être faible, c’est être courageux. Enlever notre armure nous allège. Nous devons apprendre à nous connecter et à vivre avec plus d’aisance tout ce qui compose notre humanité.

Pleurer. Qu’y a-t-il de plus humain ?
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Lorsque j’accompagne une personne en coaching, nous sommes très souvent bien plus au contact de nos émotions qu’à l’habitude en contexte professionnel.

Durant certaines conversations, il m’arrive de percevoir des tensions physiques qui apparaissent en moi. La plupart du temps, nommer ces sensations, rend explicite à mon interlocuteur qu’il vit lui aussi une tension. Le fait de l’expliciter permet d’y accéder, de la libérer et il n’est pas rare alors que des larmes coulent.
Ces larmes peuvent être de joie, de tristesse, de fatigue… ou associées à bien d’autres cocktails émotionnels présents dans le moment.

Bien souvent, la personne cherche à les arrêter rapidement et il n’est pas rare qu’elle aille même jusqu’à s’excuser.

Pour moi, c’est simplement une porte d’accès pour reconnaître que nous sommes humains, que les émotions font partie de nous et qu’il est bon de laisser tomber le masque ou même l’armure de M. ou madame Parfait.

Cette armure est si lourde

Lorsque chaque matin, nous enfilons l’armure pour aller travailler, nous ajoutons à tout ce qui est déjà présent une pression supplémentaire énorme.
L’injonction de contrôler, voire supprimer ce bouillonnement permanent en nous et qui constitue notre humanité : nos émotions.

Lorsque les choses vont mal, cette armure ne fait qu’alourdir le fardeau. Lorsqu’elles vont bien, elle limite l’expression de notre joie et de notre fierté.
Mon armure me coupe totalement du monde extérieur.

Lorsque je suis enfermé dans mon armure, ne rien laisser s’exprimer peut être un moyen de me protéger, mais il ne permet pas à l’autre de voir et sentir l’attention que je lui porte.
Lorsque je suis enfermé dans mon armure, ne rien laisser me toucher peut être un moyen de me protéger, mais ça ne laisse pas à l’autre l’opportunité de m’offrir l’attention qu’il souhaite me porter.

Pourquoi s’étonner alors que les employés se désengagent, que des communautés identitaires se forment ? Ces personnes se sentent profondément seules et ne supportent plus d’être traitées comme les pièces froides et interchangeables d’une machine qui les asservit.

Une conception mécanistique du monde

Un nombre significatif de personnes, souvent en position d’autorité, voient les organisations comme des systèmes complexes, composés d’engrenages, de sous-systèmes, de liens qu’il faut ajuster au mieux, optimisant chaque élément pour rendre le tout le plus performant possible, quel qu’en soit le prix humain à payer.
La performance, ou le succès, n’étant alors souvent définis qu’avec une seule dimension, soit le profit, soit le pouvoir.

Cette absence de considération se retrouve dans le langage utilisé au quotidien. Langage qui évoque les femmes et les hommes comme il évoque des objets, des choses. Langage étranger à toute forme de sensibilité, de nuance ou d’humanité.

Dans cette façon de concevoir le monde comme une machine, l’Être vivant devient une simple pièce, il est vu comme une ressource au même titre que le tapis d’une chaine de montage et que la photocopieuse.

Pour couronner le tout, l’humain est une ressource pénible qui parfois ose réfléchir par elle-même et se plaindre. Il y a un sigle pour cela : le PFH, le Pu7@in de Facteur Humain (FHF en anglais).

La place de l’émotion et des larmes

Vous imaginez bien que si l’être humain est considéré comme une pièce mécanique, ce qui intéresse, c’est sa force de travail, physique ou mentale. Tout le reste est simplement ignoré. Dans certains contextes, on lui enjoint même de laisser ce reste à la porte de l’organisation.

Je ne sais plus compter le nombre de fois ou j’ai entendu la phrase : «  Les émotions n’ont pas leur place en entreprise ! ».

Je crois le contraire.

Si mon collègue ne va pas bien, que nous soyons proches ou pas, je veux pouvoir respecter ce qui se passe pour lui et le soutenir, même si nous devons reporter de 2 jours la livraison d’un document. Si ma collègue a du succès, je veux pouvoir lui permettre d’exprimer librement ce qu’elle vit, sans entendre toutes sortes de jugements.

Je crois que nous devrions arrêter de nous cacher.
Je passe un tiers de ma semaine en présence de mes collègues et clients. J’ai envie de me sentir connecter à chaque être humain. Je n’ai pas envie de passer mon temps avec des machines froides et insensibles.


À la rencontre des émotions

Pratique

Cette semaine, je vous invite seul et au sein de vos équipes à la pratique suivante, en trois parties, pour redonner progressivement sa place à votre entière humanité :

La première partie se déroule lorsque vous êtes seuls.

  1. Formulez l’intention de porter attention à votre corps et à l’expression des émotions qui sont présentes en vous.
  2. Au cours de votre journée, arrêtez-vous, prenez conscience de votre corps et de vos émotions sur l’instant.
  3. Laissez ce qui se manifeste prendre plus de place, accueillez.
  4. Nommez ensuite, pour vous-même, le cocktail d’émotions présentes. Cette liste proposée par CNV Suisse peut vous aider.

La deuxième partie reste individuelle, elle se déroule dans le collectif, idéalement lors d’une réunion, d’un atelier ou autour d’un café.

  1. Avant d’entrer dans la rencontre, formulez l’intention de porter attention à vos émotions et de les nommer.
  2. Au cours de la rencontre, de manière régulière et particulièrement avant de prendre la parole, conscientisez votre expérience somatique et émotionnelle. Laissez cette expérience prendre sa place.
  3. Au moment de prendre la parole, avant de partager votre réponse, verbalisez ce qui est présent pour vous, ce que les propos provoquent pour vous. Puis seulement, évoquez votre réponse.

La troisième partie est collective et consiste à inviter l’ensemble des participants à converser en appliquant le mode proposé dans la partie 2 :

  1. Prendre conscience de son expérience personnelle.
  2. Nommer aux autres ce qui est présent en nous et leur est invisible, ce que génèrent les propos.
  3. Répondre aux dits propos.

Au cours de chacune des trois étapes, je vous invite à observer ce qui est différent pour vous, les effets sur votre relation aux autres ainsi que les conséquences sur le groupe et sur le résultat de la séance.


La vulnérabilité n’est pas une faiblesse

Trop souvent, dans le milieu professionnel et en dehors, beaucoup confondent expression des émotions avec faiblesse et faiblesse avec vulnérabilité.

À ce propos, le travail de Brené Brown est très riche et je le trouve inspirant. Je vous le recommande (en anglais).
J’apprécie beaucoup cette citation issue de son livre Daring Greatly : How the Courage to Be Vulnerable Transforms the Way We Live, Love, Parent, and Lead.

“Vulnerability sounds like truth and feels like courage. Truth and courage aren’t always comfortable, but they’re never weakness.”

Se montrer vulnérable est un acte de courage qui permet la connexion à soi et aux autres.
C’est cette connexion qui permet de bâtir la confiance et le respect.
C’est cette confiance et ce respect qui contribuent à donner du sens à nos journées, à nous sentir appartenir à l’équipe, à contribuer notre part.
C’est cette confiance, ce respect et cette connexion qui nous rendent ensemble résilients, capables d’atteindre notre but et générateurs de valeur pour l’avenir.

Rester au contact des émotions inconfortables

En m’appuyant sur de nombreux témoignages reçus, j’ai établi la croyance que beaucoup de personnes souhaitent garder l’armure pour se protéger, ne se sentant pas reçues, ne voulant pas déranger, ne se sentant pas prêtes à recevoir de l’aide, ou à accueillir les émotions de l’autre.

Je crois aussi qu’une autre raison, qui me semble elle aussi très profonde, est que face aux émotions vécues comme inconfortables, telles que celles générant des larmes, nous nous sentons souvent impuissants, parfois désemparés.

Beaucoup d’entre nous, nous sentons même envahis, devant alors faire face à notre propre état.
D’autres peuvent, à l’inverse, se sentir déconnectés, puis coupables de ne pas éprouver un sentiment qu’ils pensent devoir ressentir.
Et surtout, comme nous avons plutôt appris à éviter, à nous tenir loin, voire à fuir ces situations, nous ne savons pas comment nous comporter dans de tels moments.

Comment à la fois démontrer à la personne que nous sommes là pour elle et lui laisser l’espace pour vivre ce moment ? Comment accueillir la personne, la soutenir sans tomber dans le piège du sauveur ?

Je suis convaincu que si nous voulons créer une société et des organisations plus humaines, nous devons apprendre à nous connecter et à vivre avec plus d’aisance tout ce qui compose notre humanité.

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C’est un sujet qui me touche.
Je suis triste et en colère du gâchis dont je suis témoin dans certaines organisations ou plus largement dans la société.
Cela peut obscurcir et biaiser mon raisonnement. Je serai heureux de vous lire ou d’échanger afin de me regarder voir ce thème différemment.

Pour résumer

  • Ne nous excusons pas d’être humain ! Pleurer est naturel.
  • Enlever notre armure nous allège et c’est nécessaire pour nous connecter vraiment.
  • Voir le monde ou l’organisation comme une machine à optimiser est profondément déshumanisant et délétère.
  • Les émotions et les larmes ont leur place, même au travail.
  • Se montrer vulnérable ce n’est pas être faible, c’est être courageux.
  • Il est possible de s’entrainer à rester au contact de nos émotions et d’une personne qui pleure.

Selon vous, pourquoi le fait de pleurer dans un contexte de travail est-il considéré comme une faiblesse ?
Pourquoi sommes-nous si mal à l’aise en présence de quelqu’un qui pleure, même hors du bureau ?