Je ne sais plus quoi dire

Ce qui est magnifique, c’est qu’avec approximation, hallucination et subjectivité, nous parvenons encore, en tant qu’humains, à peaufiner ce que nous avons déjà élaboré. Je ne sais plus quoi dire. Pourtant, qu’est-ce que le fait de l’exprimer peut provoquer dans l’espace collectif qui le reçoit ?

La beauté des illusions visuelles et de la complexité de monde. Photo d’un arc-en-ciel sur la vallée de l’Arve
Photo personnelle - 1er mai 2023 à La Roche-sur-Foron (74) France.

Et pourtant j’écris pour le dire. Quel paradoxe !

J’ai bien des sujets à aborder, à partager, sur lesquels j’ai une opinion.
C’est un phénomène différent qui se manifeste pour moi depuis quelque temps.

Je me vois regarder le monde différemment et me questionner sur la pertinence de ma prochaine action, de ma prochaine parole.
Suis-je seul dans cette situation ?

Lorsque je vois, entends, sens ou interprète, je vis une expérience de réalité.
Lorsque je me regarde voir, cette réalité prend une tout autre dimension qui s’apparente plus à une hallucination. (Non, je n’ai rien pris 🙂 !)

Si la perception de mon expérience et le sens que je lui accorde sont des approximations construites subjectives… comment peut-il y avoir une chance que nous ne soyons pas ensemble dans une forme d’hallucination collective ?
Je ne le ressens plus ainsi, mais je peux comprendre pourquoi, pour réduire une forme de stress, d’anxiété, ou bien pour nous sentir solides, nous avons tant besoin d’affirmer des vérités.

C’est là que je réalise que je ne sais plus quoi dire.

Dans ce moment de recul sur ce phénomène qui se déroule d’instant en instant, je choisis d’observer 3 éléments qui me semblent m’offrir temporairement une forme de points d’accroche :

  • Le « je » qui vois, puis qui regarde voir.
  • Le contenu de ce qui est pris en considération.
  • Le langage utilisé, véhicule pour transférer ce contenu du « je » vers le monde extérieur.

Se Regarder Voir — qui

Le « je », chez moi, est nombreux et depuis longtemps questionné.

Ce « je » ressemble plus à un comité qu’une entité. Ce comité est composé de multiples identités qui jugent, évaluent, décident, protestent, protègent, se cachent, dominent.
Les membres de ce comité qui écrit et se regarde voir se chevauchent, s’entremêlent, se confondent en un tout qui s’exprime.

Dans « je ne sais plus quoi dire », il y a par moment une plongée dans le relativisme, un dialogue intérieur qui s’installe entre l’ange et le démon qui finissent par se confondre et se perdre.

D’ailleurs, qu’est-ce que ce « je » ? Il y a de nombreuses définitions du soi, de l’égo, de la conscience. Il y a de nombreuses théories, plus ou moins conciliables, pour tenter de circonscrire et expliquer « cela ».

Ce qui est magnifique, c’est qu’avec approximation, hallucination et toute notre subjectivité, nous parvenons encore, en tant qu’humains, à peaufiner tout ce que nous avons déjà élaboré.

Je ne sais plus quoi dire. Pourtant, qu’est-ce que le fait de l’exprimer peut provoquer dans l’espace collectif qui le reçoit ?

Se Regarder Voir — quoi

Dans « Je ne sais plus quoi dire », il y a le « quoi », le contenu.

Tremeur… pause… mais de quoi parles-tu ?
C’est bien évident, non ! Je parle du contenu de ce dont nous parlons !

L’ange et le démon entrent à nouveau en jeu.
Trop superficiel, trop profond ou complexe. Trop nuancé. Trop de charabia, comme on me le dit parfois.
Pourrais-tu le dire de façon plus simple ? Avec moins de nuances ?

Ma réponse est oui, ET, dans ce cas, ce n’est plus le même contenu. Il n’est plus pertinent puisque pour moi, il manque alors tout une partie de ce contenu qui, encore selon moi, est en dynamique dans le phénomène dont on parle.

Et dans le même temps, ici même, je m’exprime de façon très approximative, prenant des raccourcis pour nommer des concepts que d’autres comprennent de façon beaucoup plus nuancée.

Par exemple, lorsque je déguste des vins avec Bruno, un ami qui confectionne avec passion parmi les meilleurs vins de Suisse, je constate un fossé abyssal. Petit à petit, j’ai l’impression de percevoir des « nuances » qui pour lui sont des évidences. Alors, quand lui entre dans la nuance, imaginez.

Ce « je », subjectif, multiple, complexe qui perçoit un « quoi » aux frontières floues, à la granularité variable, en évolution dynamique, comment peut-il transmettre quelque chose qui soit pertinent ?

Ce qui est magnifique, c’est qu’avec approximation, hallucination et toute notre subjectivité, nous parvenons encore, en tant qu’humains, à peaufiner tout ce que nous avons déjà élaboré.

Je ne sais plus quoi dire. Pourtant, qu’est-ce que le fait de l’exprimer peut provoquer dans l’espace collectif qui le reçoit ?

Se Regarder Voir — comment

Entre le « je » et le « quoi », il y a le véhicule : le langage.

Qu’elle soit parlée ou écrite, la langue est une richesse abondante.

C’est une porte sur le monde, sur la connaissance, sur la relation. Imaginez simplement son évolution au cours des millénaires, ses différenciations, ses fusions, ses évolutions. Imaginez simplement le pouvoir de la traduction, la capacité d’accéder, certes avec approximation, au monde de l’autre, à sa richesse.

Qu’elle soit parlée ou écrite, la langue est une contrainte limitante.

Souvent, je n’ai pas les mots pour exprimer ce que je veux vraiment dire. Les mots arrêtent le temps, limitent l’espace, étiquettent notre perception d’un « quelque chose » à un moment donné qui n’est plus, à une granularité donnée qui n’est pas seulement celle-là.
Dans l’instant d’après, ce « quelque chose » n’est plus tout à fait le même et ma perception en est différente.

Ce qui est magnifique, c’est qu’avec approximation, hallucination et toute notre subjectivité, nous parvenons encore, en tant qu’humains, à peaufiner tout ce que nous avons déjà élaboré.

Je ne sais plus quoi dire. Pourtant, qu’est-ce que le fait de l’exprimer peut provoquer dans l’espace collectif qui le reçoit ?

Se Regarder Voir - une femme regarde ses pensées. Image d’une femme d’une ampoule contenant un cerveau
Image by Chen sur Pixabay

Se Regarder Voir et se voir regarder

Lorsque je suis dans l’action et que je mets tout cela ensemble, dans mon contexte professionnel par exemple, je génère et je vis une grande frustration, insatisfaction et même irritation.

Lorsque je parle, je me sens constamment ou presque limité dans ce que je peux réellement transmettre, au point que je ne sais plus quoi dire ni comment le dire.

La plupart du temps, travaillant avec des concepts abstraits, je trouve difficile d’en figer une description. Le « je » qui regarde change constamment. Le contenu évolue et le concept s’enrichit à chaque interaction. Les mots changent au fur et à mesure que tout bouge.

Et il y a mes interlocuteurs qui, eux aussi, ont leurs expériences, perceptions et idées sur le concept. Ils ont un contexte différent du mieux auquel je n’ai que partiellement accès.

Dans le même espace-temps où tout ce qui précède semble vrai, Se Regarder Voir et se voir regarder me procure de la paix, de la gratitude et le calme nécessaires pour prendre tout ça avec grand sérieux ET plus de légèreté.

Ce qui est magnifique, c’est qu’avec approximation, hallucination et toute notre subjectivité, nous parvenons encore, en tant qu’humains, à peaufiner tout ce que nous avons déjà élaboré.

Je ne sais plus quoi dire. Pourtant, qu’est-ce que le fait de l’exprimer peut provoquer dans l’espace collectif qui le reçoit ?

Pour résumer

  • À force d’approximations et de subjectivité, je m’interroge sur ma perception de la réalité, me demandant si celle-ci n’est autre qu’une forme d’hallucination collective.
  • Nos « je » sont complexes et multiples, les phénomènes que nous cherchons à distinguer restent souvent insaisissables et le langage permet et contraint notre expression.
  • Ce qui est magnifique, c’est qu’avec approximation, hallucination et toute notre subjectivité, nous parvenons encore, en tant qu’humains, à peaufiner tout ce que nous avons déjà élaboré.

Et toi, cher lecteur, qu’est-ce que tu as envie de dire ?
Profite des commentaires pour ça 😉.

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