Infinie métamorphose

Nous réagissons à une réalité créée en interprétant l’expérience dans laquelle nous baignons. Notre mémoire parcellaire influence chaque nouvelle interprétation. Notre cohérence et notre identité sont en infinies métamorphoses.

Fossile représentant l’infinie métamorphose de notre présence sur Terre.
Photo de Marcus Lange provenant de Pexels

Me transformer c’est un peu comme jouer à Jenga :

  • Je peux déplacer beaucoup de pièces sans m’apercevoir que j’influence l’équilibre global.
  • Au bout d’un moment, chaque mouvement de pièce devient un défi pour la stabilité de l’édifice.
  • Puis je retire une seule pièce et tout s’écroule.

Me transformer c’est une accumulation de gestes, de choix, d’événements et d’influences qui se produisent sur une échelle de temps plus ou moins longue et un nombre d’interactions plus ou moins grand.

Bien souvent, comme lors du jeu, je ne prends en considération que l’objet externe que je manipule et les personnes avec lesquelles je joue.

Pourtant je fais partie du système, en tant que corps physique qui agit. Mais pas seulement.
Je fais partie du système en tant que « pensée » ou « système de pensée ».

1000 motivations pour jouer une pièce

Il y a une multitude de raisons, plus ou moins conscientes, pour déplacer une pièce en particulier. Parce que je veux par exemple :

  • Gagner
  • Que mes adversaires perdent
  • M’amuser à voir s’écrouler la structure
  • Entendre les rires quand tout s’écroule
  • Expérimenter
  • Me sentir puissant en contrôlant mon environnement, aux limites de la physique
  • Écouter mon intuition et lui faire confiance
  • Etc.

Ces motivations peuvent changer à chaque instant pour toute personne impliquée sous l’influence :

  • Du déplacement réalisé par l’adversaire
  • D’une intention perçue
  • D’une parole interprétée
  • Du changement de la musique de fond
  • D’un rayon de soleil qui éclaire différemment la structure
  • Etc.

Toutes ces raisons viennent des profondeurs de ma psyché. Elles me sont souvent invisibles et le sont aux autres.
Et parce qu’elles me sont invisibles et que leur nombre me submerge, je les néglige quelques fois, les nie le plus souvent.

Si je m’inclus dans le système, je peux en avoir une compréhension différente.
Si je me questionne sur la racine de mon geste, je peux interpréter la situation différemment, agir autrement.
Je peux choisir en conscience.

La racine de mon geste

  • Mon geste peut naître de l’instantanéité du rayon de soleil qui soudainement donne un éclairage nouveau.
  • Il peut émerger des apprentissages issus de l’accumulation des parties que j’ai réalisées depuis ma plus tendre enfance.
  • Peut-être que je bouge cette pièce pour taquiner mon adversaire, parce que j’aime la sensation corporelle de ces instants de complicité.
  • Peut-être que je me venge d’une défaite passée ou de ces 3 jours de déplacement professionnel durant lesquels je me suis senti abandonné.
  • Ou alors je joue ainsi maintenant parce que dans ma famille, on a toujours joué comme ça. « C’est comme ça, c’est tout ! »

Ce sont bien souvent des paramètres inconscients alors j’invente une histoire plus « réaliste ».
J’ai pris en compte un certain nombre de paramètres plus ou moins rationnel. J’en ai l’impression. Parfois, je me berce d’illusions.

Je veux illustrer ici que dans le jeu, comme dans tout autre contexte, ce ne sont pas seulement nos actions, l’environnement ou les objets extérieurs qui sont en jeu.

Certes, mes actions sont influencées par les règles qui peuvent être tacites (automatisme), implicites (contextuel) ou explicites.

Ces règles sont créées par des personnes qui ont elles aussi leurs modes de pensées, leurs systèmes d’heuristiques, leur culture, leur histoire.
La plupart des choses que nous croyons vraies, que nous réifions, ne sont que des configurations de nos mémoires partielles d’expériences passées et d’anticipations de notre futur.

Ce geste que j’accomplis ou ce choix que j’exerce aujourd’hui, de manière quasi automatique, appuyés sur ce qui m’apparaît comme une vérité indiscutable, va avoir des conséquences et forger mes futures croyances.

« Nous réagissons à une réalité que nous avons nous-mêmes créée, le plus (trop) souvent en grande partie inconsciemment ! »

Ce n’est donc pas seulement l’environnement extérieur qui est en jeu, c’est tout un environnement composé de mon intérieur, conscient et inconscient et de celui des autres qui s’ajoutent.

Pour se transformer, il m’apparaît maintenant clairement l’importance de conscientiser mon système de pensée à la racine de mes actions.
Me transformer revient à changer le cadre de croyance, d’interprétation, pas seulement les pratiques. En dynamique avec les autres.

Notre identité évolue et se construit dynamiquement. Lorsque la tour s’écroule, le support des proches est bienvenu
Photo de Alena Darmel sur Pexels

Transformer, c’est changer de cadre de référence

C’est se regarder voir et se voir regarder vivre consciemment l’infinie métamorphose.

Humberto Maturana et Francisco Varela parlennt du concept d'autopoïèse, l’école de Palo Alto parle de changement de type 2, etc. Le sysème se modifie lui-même.

Me transformer prend du temps parce que ça consiste avant tout à comprendre l’agencement des pièces qui constituent la personne que je suis aujourd’hui. Tout en reconnaissant que toute pièce s’adapte aux mouvements des autres sans que je puisse le voir ou le contrôler.

Si je suis trop brutal, pas assez attentif à l’agencement, c’est comme dans le jeu, l’édifice peut être fragilisé au point de s’écrouler soudainement.

On peut deviner dans la phrase précédente certaines de mes croyances qui influencent la manière dont je conçois ces changements.
Tout cela est structuré selon une cohérence qui m’est propre. Et il en est de même pour chaque humain.
Certaines personnes préfèrent donner un grand coup de pied dans la tour de briquettes et tout ramasser après ! C’est le résultat de leur propre cohérence qui m’est étrangère.

Mes idées, mon interprétation de la transformation ne sont pas ainsi par hasard.
Elles sont la cause et les effets d’une composition d’éléments physiologiques, psychologiques, sociologiques… et les configurations de ces derniers, influencées par mes orientations, dans les contextes auxquels je participe.
C’est ce qui façonne, dynamiquement, qui je deviens, à chaque instant.

Tout ça par l’interprétation de ce que je fais de l’expérience permanente dans laquelle je baigne.
C’est la cohérence qui m’est propre.

Pour faire évoluer cette cohérence, je peux en changer les composants, leur configuration et les forces qui tiennent le tout, comme les croyances.

Si ma cohérence est une tour Jenga à un temps « t », il peut me falloir du temps pour reconfigurer la tour pièce par pièce.

Même dans le cas d’une révélation, d’une prise de conscience soudaine, d’un « insight », il reste nécessaire de reconfigurer toute la cohérence qui influencera mon action. Action qui, elle-même, contribuera à reconfigurer la cohérence.

Pour résumer

  • Le sens que je fais de l’expérience que je vis est fonction des éléments que je vois (composition), de leurs interrelations (configuration) et des croyances (orientation) que j’ai acquises.
  • Pour me transformer, je dois prendre conscience de la manière dont je regarde le monde et ce que j’y vois.
  • Pour me transformer, j’ai besoin de la volonté et du temps nécessaire pour réorganiser mon système de pensée.
  • Changer mes actions implique de changer ma cohérence, l’infinie métamorphose de mon identité.

Que génère pour vous l’idée que vous ne pouvez définir qui vous êtes à chaque instant qu’au travers du système de pensée présent à cet instant ?