Contribuer à une Humanité florissante ?

Nos systèmes sont élaborés par notre pensée. De sa qualité dépend la leur. Nous ne pouvons plus faire l’économie de sa remise en question. Un collectif ouvert et sincère permettra l’émergence des bonnes questions. l’Humanité florissante est un potentiel à inventer, pas un idéal à atteindre.

L’abeille et sa contribution florissante à l’Humanité. Se Regarder Voir est-il un acte qui y contribue
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Se Regarder Voir peut-il réellement contribuer à une Humanité florissante ?

C’est une des nombreuses questions assez fondamentales qui occupent mes pensées très souvent en ce moment.

Au-delà de ma satisfaction personnelle, être « Activiste de la qualité de conscience » a-t-il une quelconque pertinence ? Est-ce aligné avec un quelconque besoin ?

Sans être en mesure d’y associer spécifiquement et formellement des résultats concrets, j’ai au moins à titre personnel suffisamment de bénéfices, alors je continue à m’accrocher à l’idée suivante :

Si nous sommes en mesure d’agir en conscience avec l’intention d’une Humanité florissante, en portant attention à la qualité de notre conscience, de notre pensée, à l’impact de nos actions pour nous, les autres et notre environnement alors progressivement nous vivrons et bénéficierons de cette générativité.

Génératif ou florissant ne signifie pas positif ou agréable à chaque instant. Il apparait naturellement des cycles de créations et de destructions, d’autorégulation. Et même si certains jours, j’ai envie d’abandonner et de me dire que tout est foutu, je ne peux m’y résoudre.

Dans une période où il m’apparait un criant besoin d’action, interroger les autres et me poser des questions ne me semblent pas toujours être les meilleures utilisations de mon temps, de mon énergie et de l’énergie du collectif.
Douter de soi, de mes connaissances ou de celles des humains en général ne semble pas le plus adéquat.

Chaque instant est nouveau

En effet, nous n’avons jamais vécu auparavant ce que nous vivons à chaque instant.

Pourquoi alors, utiliser aveuglement des recettes que nous extrayons à travers un filtre cognitif « f0 », à un instant « t0 », dans un contexte « c0 », comme des solutions toutes faites, applicables à l’instant « t1 » dans un contexte « c1 » avec notre lecture au travers d’un filtre « f1 » ?

Cette pensée est vertigineuse, car elle implique de reconnaitre que nous ne savons pas grand-chose[1].
Notre connaissance n’est que parcellaire, orientée, filtrée, contextuelle.
Tirer des généralités du passé et les appliquer sans réel examen m’apparait manquer d’une forme d’humilité ou d’intégrité.
Ce que je perçois comme dangereux, c’est l’impression que nous oublions que nous projetons des hypothèses basées sur des approximations et que nous les traitons comme des vérités. Comme je dis souvent, nous faisons des « exactimations », des « estimations exactes ».

Tout cela se passe individuellement et collectivement avec des comportements qui varient d’une échelle spatio-temporelle à l’autre.

Les forces sont puissantes à tous les niveaux,

  • Un trauma personnel oriente mon regard sur le monde, mes interactions…
  • Un trauma collectif, telles une guerre ou une famine, engendre des conséquences à long terme, sociales, politiques, idéologiques…
  • Un système politique peut maintenir en place des règles locales ou globales pour préserver des intérêts rarement explicités.
  • Une idéologie économique peut singulièrement orienter des décisions et des comportements à certaines échelles, sans être réellement questionnée en profondeur.

Tout comme pour les particules, ce que l’on peut observer à l’infiniment petit, par exemple l’idée d’une personne isolée, est très différent de ce que l’on observe à l’échelle macroscopique, par exemple un comportement de la même personne dans un groupe.
Ça peut être défini par un écart entre mes intentions et mes actions, tout autant que des dynamiques interpersonnelles et sociales, ou contraint par des règles systémiques que je n’ai pas le pouvoir de changer directement.

Je cite Albert Moukheiber, qui, lors d’une intervention titrée : « Climat, Tous Biaisés ? » disait :

C’est très dangereux de juste parler des facteurs individuels parce qu’on surresponsabilise l’individu et quand on surresponsabilise l’individu, de manière un peu complémentaire on invisibilise le système.
Documentaire-conférence : climat, tous biaisés ? Avec Albert Moukheiber
Notre planète va mal, nous le savons. Et vu l’urgence de la situation, agir contre le réchauffement climatique et tous les autres maux de notre planète devra…

Mystérieuse cohérence

Pour moi, c’est très intrigant.

Si nous considérons le tabac, qu’est-ce qui est en jeu à l’échelle d’une personne qui connait les effets destructeurs de la substance et commence ou continue à fumer ?
Qu’est-ce qui est en jeu à l’échelle d’un état, d’un continent ou du monde quand on sait depuis longtemps que le tabac fait 75 000 morts par an[2] avec un coût social évalué à 120 milliards[2], rien qu’en France, et qu’il ne se passe rien ou presque ?

Comment relier cela avec la peur du nucléaire par exemple, ou d’autres mesures prises à l’échelle du pays relatives à l’automobile ?
Je pense ici spécifiquement à la réduction de la vitesse à 80 km/h avec pour bilan 230 vies sauvées attribuables à cette mesure, si je ne me trompe pas de manière trop importante dans l’interprétation des chiffres (nombre de décès hors agglomération en 2017 = 2156, en 2022 = 1926, pour un total de 3 541 personnes décédées en 2022[3]) ?
C’est toujours trop, c’est évident !

L’intention déclarée est celle d’une réduction de la mortalité, sans considérer que depuis longtemps la réduction de la vitesse est identifiée comme un facteur permettant de réduire l’impact de nos déplacements sur la consommation d’énergie, sur l’environnement et donc sur notre santé.

Cela génère encore plus de questions :

  • Pourquoi pour la pollution, pour l’alcool, ou tous ces éléments ne fait-on rien ou si peu ?
  • Pourquoi prenons-nous les problèmes dans un ordre plutôt qu’un autre ?
  • Que prenons-nous en compte pour les traiter ?
  • Que cachons-nous ?
  • Que rendons-nous explicite ?

Jean-Marc Jancovici posait récemment la question sous une forme proche de celle-ci :

pourquoi les retraites maintenant alors que les impacts du bouleversement climatique ne sont pas traités et qu’ils auront des conséquences énormes sur ladite retraite[4] ?

Pour les thèmes du tabac, de l’alcool, du nucléaire, de la voiture… je crois qu’il existe de nombreuses réponses interreliées qui touchent à la fois des aspects individuels et collectifs.
Il existe probablement des effets et des causes qui sont indécelables aujourd’hui et dont l’évolution systémique est difficile à prévoir.
La tentation du jugement est très forte, tout comme celle de crier au complot.

Ces questions guident l’exploration de différentes pistes complémentaires qui, combinées entre elles avec rigueur, pourraient permettre de donner un sens minimalement rationnel à tout cela.
Parmi ces pistes :

  • Psychologie individuelle : pourquoi, alors qu’elle connait pertinemment les risques, une personne fume-t-elle ?
  • Dynamiques systémiques : quels seraient les impacts politiques, économiques, sociaux d’un arrêt brutal de tout commerce du tabac ?
  • Psychologie collective : comment positionner à différentes échelles, dans différentes cultures, la barrière entre liberté individuelle et responsabilité collective ?
  • Dynamiques économiques : quelles sont les influences des lobbys et celles du boulanger de mon quartier ?
  • Dynamiques politiques : que se passera-t-il dans les relations avec ses voisins si demain la France prend des mesures ?
  • Dynamiques de pouvoir : Quelles sont les dynamiques, exploitées par qui, de déresponsabilisation au niveau systémique et de responsabilisation au niveau individuel ?
  • etc.

Négliger toutes ces dynamiques et se concentrer sur la seule volonté de l’individu pour se contrôler est absurde.
Le reste est des choix et des influences structurelles et systémiques.

Agir à son échelle

À l’échelle globale, le sentiment d’impuissance est pour moi gigantesque. Alors je regarde à une échelle plus petite et locale, celle des équipes, celles des départements ou des organisations.

  • Existe-t-il des dynamiques comparables ?
  • Est-il possible d’agir à ces échelles et d’espérer qu’une évolution systémique aura des conséquences positives sur le tout, à d’autres échelles ?
  • Quelles règles, quels éléments du système doivent être changés pour qu’une quelconque transformation puisse se produire ?
  • Les personnes considérées en ont-elles les moyens ?
  • Quel est leur degré d’action individuelle et collective possible ?
  • Ont-elles acquis une forme d’impuissance, est-elle court terme ou long terme ?
  • Quelles nouvelles règles et habitudes doivent être mises en place ?
  • Comment le « intention-action gap » se manifeste-t-il ?
  • Est-il possible de contribuer à le réduire ?

À titre personnel, au bout d’un moment, même à ces échelles plus proches de moi, je finis par me sentir impuissant.
C’est amplifié lorsque je me vois parfois contribuer directement à ce que je dénonce.
Cette dissonance cognitive est souvent inconfortable, quelquefois insupportable.

Se Regarder Voir me permet d’explorer cet inconfort.
Combien de temps suis-je en mesure de rester en santé, ne pas sombrer dans la dépression, tout en acceptant l’inconfort ?

Combien de temps de nouvelles habitudes, de nouveaux canaux neuronaux mettent-ils à se former qui permettent de se sentir bien ?
Est-il sain de se sentir bien dans un monde qui va mal ?

M’interroger sur le contenu, le processus et le contexte de ma pensée, remettre constamment en question ma conception du monde n’est parfois pas agréable comme je l’ai partagé la semaine passée dans « Virtuoses en réalités subjectives ».
Mais comment faire autrement ?

Toutes les règles, les systèmes dans lesquels nous opérons sont bâtis à partir de notre pensée, agrégés à différents moments, à différentes échelles, dans différents contextes de pouvoir.

De la qualité de notre pensée, de la qualité de notre conscience dépend alors la qualité des règles et des systèmes qu’elles régulent.

Pour résumer

Je crois que :

  1. Nous ne pouvons pas plus faire l’économie de questionner la qualité de notre pensée, en nous efforçant de le faire à différentes échelles.
  2. Ça doit se faire à plusieurs avec une forme d’ouverture sincère pour permettre l’émergence des bonnes questions.
  3. Nous devons être en mesure de nous soutenir collectivement pour déployer les forces de passage à l’acte et le courage qui va avec.

Pour répondre en quelques mots à la question de départ :
« Se regarder voir peut-il réellement contribuer à une humanité florissante ? »

J’en doute sincèrement, car c’est à mon sens nécessaire, mais pas suffisant
ET je ne peux m’empêcher d’y croire.

Et vous ?


1 - J’abordais ce vertige au niveau personnel dans l’article « Vivre en devenir » https://www.se-regarder-voir.com/vivre-en-devenir/.

2 - https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/donnees/#tabs

3 - https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etat-de-l-insecurite-routiere/bilans-annuels-de-la-securite-routiere/bilan-2022-de-la-securite-routiere

4 - « La Décroissance, on Ne Va Pas Y Couper » https://www.youtube.com/watch?v=Fjb72jZ3SpA